LE MARATHON DES OUTRANCIERS

100 millions ici, 200 millions là, puis de nouveau 100 millions ici, puis un petit 10 millions par là… et au loin qui se profile l’ombre d’une souscription nationale.

Depuis 48h déjà la France est le théâtre d’un évènement unique : le marathon des outranciers.

Quelle société…

Quelle société malade que celle capable de soulever des fonds mirobolants pour la reconstruction d’un édifice et incapable de l’ombre d’un même élan pour le logement des sans-abris, pour la lutte contre les trafics de drogue qui ravagent certains quartiers, pour la revalorisation des allocations pour adultes handicapés, pour la revalorisation des retraites, pour la lutte contre la maltraitance.

L’incendie qui a frappé la cathédrale de Notre Dame de Paris ce 15 avril 2019 a permis de voir s’ouvrir en quelques heures seulement l’un des bals les plus hypocrites qui soit. Un bal aux protagonistes riches et puissants mais aveugles devant les valeurs réelles et humaines que ces murs détruits portaient en leur sein.

L’Église, en tant qu’institution millénaire, nous a offert à travers l‘Histoire et son patrimoine culturel un héritage immatériel, celui du don de soi au chevet du plus faible. Tel a été le message du Christianisme depuis des siècles. Cette Église la voilà aujourd’hui instrumentalisée à des fins diamétralement opposées aux messages que la cathédrale Notre Dame tentait de véhiculer.

La soulagement de ne déplorer aucun décès fut étouffé par cet empressement soudain à déballer avec une facilité déroutante des sommes que l’on pensait non mobilisables, voire non existantes, pour des causes humaines. 800 000 000 d’euros au 16 avril, jamais aucune cause nationale n’a fait soulever autant en un temps aussi court…

La communication est résolument le nouvel opium du peuple.

La mobilisation des industriels

« Cette tragédie frappe tous les français et bien au-delà tous ceux qui sont attachés aux valeurs spirituelles. Face à ce drame chacun souhaite redonner vie au plus vite à ce joyau de notre patrimoine. » nous annonce François-Henri Pinault. Et hop 100.000.000 € !

Ah les grands riches… Toujours à croire que lorsqu’ils ressentent quelque chose, l’ensemble de l’espèce humaine, comme par ricochet, le ressent aussi. L’émotion est pour eux un peu comme un chiffre en Bourse, ils en provoquent les variations avec cette légèreté qu’on leur connaît. Habitués à faire économiquement la pluie et le beau temps dans nos sociétés, ils s’imaginent souvent avoir ce monopole de la bonne pensée. Laissez-nous Messieurs les puissants, pauvres insolents que nous sommes, vous partager un peu de nos maigres impressions.

« Comment cela Pinault donne-t-il 100 millions ?!

200.000.000 €! oui oui absolument annoncez-le, ne me regardez pas comme ça, ne voyez-vous pas ce qu’il vient de faire le fourbe! »

Oui cet extrait est fictif… Mais le don de la famille Arnault et du groupe LVMH n’est pas fictif lui.. Donc finalement il y a de l’argent, et on peut en plus se faire exonérer de payer un impôt dessus. Gilets Jaunes pitié cessez ces marches ridicules hebdomadaires... vos revendications sur les taxes sont d’une lourdeur... Rentrez chez-vous et laissez sprinter ceux qui savent ce que l’URGENCE signifie.

Qui d’autres dites-vous ? Ah mais oui bien sûr… Comment a-t-on pu faire offense à ce point à la famille Bettencourt-Meyers et son Groupe L’Oréal… 200.000.000 € également s’il vous plaît.

Groupama, 3èmepropriétaire privé de forêt en France, et ses 1300 chênes centenaires souhaitent se joindre au bal.

Fini ? Mais non ! attendez ! Le Syndicat Filière Bois veut s’exprimer : nous réserverons nos « plus beaux chênes ». Ah oui rien que ça ? Coucou l’écologie, le vert, la nature, etcetera !

Oui absolument : hier encore c’était la fashion idea qu’il fallait brandir partout, mais c’était hier vous comprenez... Et comme on dit : la mode passe, le style reste.

Tout cela pour une maison de prière dont la religion maîtresse nous parle de la pauvreté du Christ, du pain sec et de l’eau. Dont les édifices nous présentent sur les crucifix un Messie cachectique, côtes apparentes et pommettes saillantes, ami des lépreux, des indigents, des orphelins. Des sommes astronomiques investies dans la pierre et le luxe. Outrance et paradoxe.

Nous nous retrouvons contemplatif, perplexe, un peu plus proche du veau d’or, un peu plus loin des « Moses let my people go ».

La mobilisation des collectivités

Un petit mot tout d’abord sur les parachutés. Ceux qui occupent des postes régionaux, départementaux ou encore municipaux avec l’ambition secrète de pouvoir accéder aux plus hautes fonctions de l’État.

M. Macron aura beau supprimer l’ENA, l’espèce qui sévit dans le monde politique actuel est compatible avec tous les terreaux. Quel que soit leur parcours, leur cursus dans l’enseignement supérieur, la cible reste la même :le pouvoir. Avec une devise commune : tous les moyens sont bons pour arriver à cette fin.

Nous avons donc pu entendre nos opportunistes préférés prendre la parole sur les plateaux avec ferveur et toujours ces traditionnels accents surjoués. Mais à la différence des riches, les parachutés ont ce culot bien spécifique de dépenser avec largesse un argent qui ne leur appartient pas. Un argent récolté pour les citoyens et l’amélioration de leurs conditions de vie.

Mme Hidalgo en tête : 50 millions. Étant Maire de la ville il semble naturel qu’elle prenne la décision de la participation au financement des travaux. Mais là encore c’est la facilité avec laquelle ces millions apparaissent qui est hallucinante. La légitimité et le bien-fondé de ces dépenses publiques. L’AP-HP et autres institutions publiques en souffrance seront heureux de voir que ce type de plan d’urgence est possible.

Mme Pécresse qui nous revient toute bronzée du Mali. Après avoir divisé par deux les dépenses d’aides internationales depuis son élection, elle nous offre un petit 10 millions. Oui comme ça, très vite.

M. Wauquiez. Pour l’Auvergne-Rhône-Alpes, ce sera 2 millions d’euros. Non il n’y a pas besoin d’argent en Auvergne, qui vous a dit ça ?

La commune de Romans-sur-Isère : 35.000€, soit 1€ par habitant. Mignon. Pensée pour les militants locaux qui se battent pour des subventions et à qui on a dit et redit « non il n’y a pas d’argent ». Et 1000€ ? « Non il n’y a pas 1000€ ».

Et puis bien sûr pour colorer tout cela la petite douceur façon extrême avec M. Dupont-Aignan .

Une approche folklorique, un regard artistique... profond... : Monsieur souhaite une commission d’enquête pour déterminer s’il s’agit d’un accident ou d’un attentat. La simple idée que l’Islam se tiendrait loin de ce drame lui provoque des suées.

Nous ne pouvons que déplorer l’insulte faite aux revendications locales légitimes concernant des problématiques, parfois urgentes selon les territoires, et auxquels on a rétorqué qu’il n’y avait pas d’argent. Un site internet est créée par le gouvernement pour financer la reconstruction. Donc quand on veut on peut. De qui se moque-t-on ?

Et pour finir, le discours de Ba le serpent

Un ton théâtral au possible. Feindre gauchement le drame, l’apocalypse. Le métier de comédien a ses écoles et ses formations M. le Président. Gouverner ce n’est pas simuler, ce n’est pas séduire en susurrant des vers. La culture peut vous être chère, personne ne vous blâmera pour cela, elle ne doit néanmoins pas devenir votre costume habituel pour la mise en scène de vos stratégies de communication. Peu importe là l’affection que vous portez à Notre Dame, peu importe la symbolique que vous avez pu retenir de ce magnifique édifice historique, ce qui compte c’est votre capacité à administrer un pays avec justice et équité, à ne pas abandonner vos concitoyens à leur misère en vous vautrant dans l’indécence du « qui gémira le plus fort » face à un accident à la fois dramatique et heureux dans la mesure où aucune vie humaine n’a été perdue. L’avez-vous seulement souligné ? Mesurez-vous la portée de vos manquements. La France a connu le deuil, la destruction pure et dure du bonheur dans certaines familles suite aux attentats, et la France en tant que foule anonyme connaît aujourd’hui encore la souffrance, la précarité de chaque jour... Percevez-vous l’indécence ? L’apercevez-vous seulement ?

Que savent ces gens de la réalité, de la vie, du monde… que savent-ils des cathédrales ?

Ils sont, même riches, d’une misère humaine sans égale.

E. DUFIER-WEIJBLASH