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SACCO & VANZETTI : PEINE DE MORT ET XENOPHOBIE DU XXème SIECLE

  • Photo du rédacteur: E. Dufier
    E. Dufier
  • 3 mai 2019
  • 7 min de lecture

"Here's to you, Nicola and Bart

Rest forever here in our hearts

The last and final moment is yours

That agony is your triumph "



Ces vers extraits de la chanson Sacco & Vanzetti (Here’s to you) de Joan Baez et Ennio Morricone parue en 1971 nous parle d’un fait totalement oublié de notre temps et des jeunes générations: la condamnation à mort dans la nuit du 22 au 23 août 1927 aux USA de deux hommes sur fond de racisme anti-italien.



RAPPELS SUR L’AFFAIRE SACCO ET VANZETTI


Quel était le contexte historique ?

Nous sommes en 1920 aux Etats-Unis. Le contexte est une Amérique d’après-guerre avec des retombées économiques qui dépassent l’Europe seule et une inflation à laquelle le pays a du mal à faire face.

Tout cela contribue, avec d’autres facteurs, à des mouvements de grève et de contestation visant à obtenir une revalorisation des salaires et une réduction du temps de travail. Les syndicats et les ouvriers de toute part militent intensément et des scènes d’affrontement et de violence voient le jour.

A cette violence viennent s’ajouter des attentats revendiqués par des groupes anarchistes : on peut citer l’attentat de Cleveland qui fait 38 morts.

Une politique de répression est mise en place contre les militants anarchistes mais des amalgames se font progressivement dans l’opinion publique entre les simples militants grévistes, les ouvriers immigrés (parmi eux les italiens) et les anarchistes/communistes européens considérés comme des terroristes de gauche, appelés également les Rouges.

Cette période est nommée « Red Scare » : peur des rouges.


Le braquage dont il est question

Le 15 avril 1920 un braquage a lieu dans la banlieue de Boston à South Braintree. On dépore deux morts : Frederic Parmenter, chef-caissier et le garde armé travaillant dans la même manufacture, nommé Alessandro Berardelli. Ils sont tués par balles par deux hommes.

Les accusations sont vite dirigées contre les anarchistes italiens. Bartolomeo Vanzetti et Nicola Sacco, deux hommes âgés respectivement de 32 ans et 29 ans sont connus de la police à cette époque comme des militants radicaux soutenant l’insurrection et le terrorisme révolutionnaire. Les enquêteurs portent leurs soupçons également sur Ferruccio Coacci, un ouvrier italien qui a travaillé pour la manufacture attaquée et chez lequel sont retrouvés au domicile des cartouches Browning similaires à celles ayant été utilisées pour l’assassinat des deux victimes.


Bartolomeo Vanzetti et Nicola Sacco

Mario Boda, colocataire de Ferruccio Coacci est également soupçonné. Il est propriétaire d'une voiture utilisée pour le braquage.

Le 5 mai 1920, lors de l’interpellation de ce Mario Buda, la police le retrouve avec 3 autres hommes qui seront plus tard identifiés comme Sacco, Vanzetti et Riccardo Orcian.

Les 4 hommes venaient récupérer la voiture en réparation dans un garage. Le gérant du garage alerta la police quand il s’aperçut que la plaque d'immatriculation n’était pas une originale. Les 4 hommes tentent de s’enfuir mais la police parvient à rattraper Sacco et Vanzetti qui étaient à ce moment en possession d'armes à feu : ils sont ensuite inculpés pour le braquage.


Les Procès

22 juin 1920 : un premier procès se tient. S’y opposent des témoins qui affirment avoir « reconnu » des Italiens, et d’autres témoins qui sont eux-mêmes des immigrés italiens qui fournissent un alibi à Vanzetti mais ils sont suspectés d’être des soutiens des milieux anarchistes.

Le 16 août 1920, Vanzetti est condamné pour braquage antérieur de 12 à 15 ans de prison, Nicola Sacco lui est acquitté car il a pu fournir la preuve qu’il travaillait ce jour-là.

Un second procès qui a lieu en juillet 1921 vise à se pencher sur l'expertise en balistique. Ce second procès, dont le verdict a été fortement influencé par l'attentat anarchiste de Wall Street du 16 septembre 1920, les condamne tous les deux à la peine capitale pour les crimes de South Braintree, malgré le manque de preuves formelles.


Les Soutiens

Progressivement partout dans le monde des comités de soutien se créent pour dénoncer ce qu’ils estiment être une injustice. L'affaire passionne en particulier l'opinion italienne qui a le sentiment que les deux prisonniers sont persécutés en tant qu'Italiens. Mussolini lui-même intercédera pour Sacco et Vanzetti, sans succès.



La Condamnation

Leur condamnation à mort est confirmée le 12 mai 1926. En novembre 1925, un bandit dénommé Celestino Madeiros avoue être l'auteur du braquage de South Braintree, mais le juge Webster Thayer refuse de rouvrir le dossier.

Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti sont exécutés sur la chaise électrique dans la nuit du 22 au 23 août 1927, à la prison de Charlestown. Cette mise à mort entraîne des émeutes en Afrique du Sud, à Tokyo et à Paris.

Le 23 août 1977, exactement 50 ans après leur exécution, le gouverneur du Massachusetts absout les deux hommes, les réhabilite officiellement et déclare que « tous les déshonneurs devaient être enlevés de leurs noms pour toujours».

Désaccord

Des désaccords sur la question de l'innocence ou de la culpabilité des condamnés à mort persisteront. Francis Russell un auteur américain affirme que seul Sacco était coupable en justifiant ses dires par une analyse de l’enquête balistique.


Le soutien dans la culture populaire

Sacco & Vanzetti sont devenus progressivement des symboles de la persécution raciste à l’encontre des italiens aux USA. La chanteuse Joan Baez, comme citée en introduction, interpréta en leur mémoire le titre Here’s to you, dont les paroles sont inspirées par les mots de Bartolomeo Vanzetti au juge Thayer :

« Si cette chose n'était pas arrivée, j'aurais passé toute ma vie à parler au coin des rues à des hommes méprisants. J'aurais pu mourir inconnu, ignoré : un raté. Ceci est notre carrière et notre triomphe. Jamais, dans toute notre vie, nous n'aurions pu espérer faire pour la tolérance, pour la justice, pour la compréhension mutuelle des hommes, ce que nous faisons aujourd’hui par hasard. Nos paroles, nos vies, nos souffrances ne sont rien. Mais qu’on nous prenne nos vies, vies d'un bon cordonnier et d'un pauvre vendeur de poissons, c'est cela qui est tout ! Ce dernier moment est le nôtre. Cette agonie est notre triomphe. »




Pour en savoir plus, n’hésitez pas à regarder le film « Sacco et Vanzetti » (Sacco e Vanzetti) de Giuliano Montaldo paru en 1971 et dont la chanson épnonyme interprétée par Joan Baez fait partie de la bande originale.


ZOOM SUR LE RACISME ANTI-ITALIEN EN FRANCE


Au-delà de la culpabilité ou non de Sacco & Vanzetti, cette affaire vient mettre en lumière un climat de persécution d’un groupe de personnes en raison de leur origine.

Aujourd’hui le racisme anti-noir, l’antisémitisme, la sinophobie et l’islamophobie font partie des discriminations les plus fréquentes dans la société française. Mais il fût un temps où les immigrés italiens, portugais ou espagnols étaient avec force pointés du doigt, moqués et marginalisés du fait de leur origine ou de leur accent.

Dans les années 1920 l’ouvrier italien, appelé péjorativement Rital, émigre aux États-Unis mais aussi en France dans un contexte de crise économique et d’insécurité. A cette époque Mussolini est au pouvoir et les conditions de vie sont particulièrement dures. L’Italie connaissait au début du XXème siècle alors un taux d’analphabétisme de 90%.

Aux Etats-Unis parmi les 20 millions d’immigrants venus d’Europe, 4 millions sont italiens. Considérés comme violents et sales par les anglo-saxons, les italiens étaient par exemples forcés à prier dans les caves des Églises.


Jusqu’aux années 60 les italiens constituaient la communauté étrangère la plus nombreuse de France. 5 millions d’Italiens immigrèrent dans le Nord de la France et aussi surtout à Marseille pour trouver du travail. Et cette vague migratoire n’a pas été bien accueilli bien qu’on ait pu l’oublier. Outre la ségrégation dans des ghettos et en périphérie des villes. Cette haine de l’itaien allait des rixes et des manifestations contre les « Macaronis » comme on les appelait jusqu’à de véritables massacres : le massacre des Italiens à Aigues-Mortes dans le Guard en 1893 qui fût le point culminant du racisme anti-italien : les ouvriers italiens étaient poursuivis par des travailleurs français armés de pioches et de fourches sur fond de polémique sur la protection du travail national (terme existant à l’époque). On dénombra entre 8 et 50 morts selon les sources.




« L’intégration s’est faite par le travail et parce qu’on faisait les métiers que les Français ne voulaient pas » affirme Rocco Femia, directeur de la revue bilingue Radici.

Un extrait du journal la Patrie en 1896 nous rapportent le sentiment général à leur égard :

« Ils arrivent comme des sauterelles. Ils sont sales, tristes... Ils s’installent chez les leurs, entre eux, demeurant étranger au peuple qui les accueille, travaillant à prix réduit».

Les italiens à l’époque étaient aussi appelés «  christos » à une période où la France était touchée par la déchristianisation.

Leur comportement religieux très ostentatoire comme de « tristes brutes aveuglées de catholicisme » selon le journal le Cri du Peuple, les éloigna des prolétaires français.

En 1897 déjà certaines municipalités françaises affichaient un racisme décompléxé : cette année la municipalité ouvertement italophobe, élue sur le slogan « Nice aux niçois » décida de ne pas renouveler le permis de travail de 100 cochers italiens.


En conclusion, la discrimination à l’égard de l’étranger, de l’immigré, n’est ni un fait nouveau ni un processus qui peut épargner ceux ayant la même couleur de peau que les habitants du pays accueillants. Preuve est faite par ce racisme anti-italien violent du XXème siècle.

Nous savons que les circonstances économiques sont un facteur clairement déterminants. Mais peut-être que de nouvelles crises nous guettent, encore plus violentes avec, qui sait, une immigration d’Amérique du Sud, ou d’Asie du nord ? Des cultures toujours plus différentes de la nôtre...

Mais la solution n’est-elle pas la suivante : peu importe d’où viennent les étrangers, le défi est de savoir éduquer nos propres citoyens à la tolérance et au respect de l’être humain ? Nous éduquer nous-même.


Sans vouloir juger les colères, comment nous comporterions-nous si nous étions une personne pauvre, sans emploi, avec un étranger travaillant dans une usine voisine ? Aurions-nous la haine de l’étranger qui prend « notre" travail ? ou aurions-nous la sagesse de vouloir comprendre et militer pour nos droits et pour de meilleurs conditions de vie sans s’attaquer à d’autres faibles ?

E. DUFIER-WEIJBLASH



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